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Dorothée Browaeys

Urgence du vivant : « La bioéconomie oblige les logiques libérales à se réformer ».

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Dorothée Browaeys est ce que l’on pourrait appeler une militante du vivant. Elle anime Tek4life, organisation qui porte plusieurs plateformes appelant à la responsabilité des acteurs publics et économiques face aux enjeux biotechnologiques, mais aussi ceux des nanotechnologies et du digital. Elle est aussi journaliste et collabore depuis plusieurs années avec UP’ Magazine. Le 6 septembre sort son dernier livre : L’Urgence du vivant aux éditions François Bourin. Rencontre en forme d’avant-première.
 

UP’ : Dorothée Browaeys, dans votre dernier livre, vous décrivez un système industriel qui, nécessité oblige selon vous, adopte de nouvelles manières de compter, d’innover, de régénérer et d’investir. Vous racontez avec force détails et exemples, comment agroécologie, chimie verte, bioénergies et inventions bioinspirées font naître partout une économie nouvelle, une économie solidaire du vivant. Vous évoquez l’idée d’un nouveau pacte à conclure d’urgence avec le vivant. En quoi y-a-t-il urgence et quelle est la nature de cette urgence ?
 
DB : L’urgence concerne l’habitabilité de la terre et devient une question de sécurité humaine. Pourquoi ? Parce que nous ne pouvons plus compter sur l’amortissement des systèmes climatiques et vivants. Ils manifestent tous les signes de leur dérèglement. Le réchauffement du globe s’accélère au-delà des prévisions statistiques. Les populations d’espèces vivantes s’effondrent avec des effets drastiques et imprévisibles dans les chaînes alimentaires : la disparition en trente ans, de 80% des populations d’insectes ou de phytoplancton dans les océans, ce sont des garde-manger qui partent en fumée. Cette diversité qui sombre, c’est notre assurance-vie. C’est la condition de toute souveraineté.
 
Mais si ces urgences sont bien réelles, contingentes, la plus importante est ailleurs. Si nous avons pris conscience de nos interdépendances, nous n’arrivons pas à passer à l’acte, à convertir nos modes de production et nos modes de vie. L’urgence est dans notre capacité collective à imaginer le monde d’après, d’en finir avec les tricheries avec les ressources (comme si elles pouvaient toujours se renouveler) et avec le temps (comme si on pouvait tout compenser).
 
UP’ : La démission de Nicolas Hulot a révélé, si besoin était, les difficultés voire l’impossibilité de concilier défense de l’environnement et principes de réalités politico-économiques. Pourtant, vous appelez dans votre livre à l’émergence d’une nouvelle économie, une économie articulée sur le vivant, une bioéconomie. Pourquoi et en quoi cette bioéconomie serait-elle compatible avec les sociétés d’économies libérales dans lesquelles nous évoluons ?
 
DB : Il ne s’agit pas de « défendre l’environnement » ! Cette posture erronée des anciens écologistes, propose des « garde-fous » et présente le milieu comme un décor à respecter. La modernité a pensé le progrès, la production, l’économie dans une logique d’exploitation d’un bien disponible et illimité. C’est aberrant, il faut en sortir…
Je raconte avec détail dans mon livre comment nous avons « raté » à diverses époques les occasions de rectifier cette trajectoire, de tenir compte du réel, des interdépendances. Les physiocrates au XVIIIe siècle avec François Quesnay ont tenté de rappeler l’origine biologique du moteur productif, des physiciens ont montré que l’économie n’était pas mécanique mais affaire de thermodynamique (de flux et d’énergie), l’économiste Nicolas Georgescu-Roegen a insisté sur l’irréversibilité des phénomènes qui dissipent de l’énergie, à l’exception du vivant qui organise.
Puisque l’essentiel de nos ressources sont biologiques, il est logique de considérer les productions comme des métabolismes intégrés. C’est ce que déploie l’économie circulaire. La plupart des machines que nous développons cherchent à imiter le vivant : les nanorobots ressemblent aux composants cellulaires ; la fabrication additive fait « pousser » les objets, le « deep learning » copie nos cerveaux ou nos systèmes immunitaires. De la même manière, les bactéries ou les levures qui fabriquent des médicaments ou des carburants sont de véritables usines miniatures. Tout cela incarne la bioéconomie en émergence. Et si l’économie prend soin des machines et de leur amortissement, alors elle doit prévoir la régénération des systèmes biologiques. Compter sur le vivant, c’est forcément en prendre soin. Tout agriculteur sait qu’on ne peut éreinter les organismes, les sols, les écosystèmes sous peine de tout perdre ! La bioéconomie oblige les logiques libérales à se réformer car elles « mettent sous le tapis » quantités d’externalités (pollutions de l’air, de l’eau ou des sols ; émissions de gaz carbonique ; épuisement des ressources ; effondrement des biodiversités…). L’économie de marché n’est pas un problème, ce qui est obscène – pour reprendre un terme de Muhammad Yunus – c’est de la laisser mentir, en la maintenant aveugle à son moteur, qui est le monde vivant…
 
UP’ : On oppose souvent capitalisme et écologie. Ce n’est pas votre cas. En effet, dans votre livre, vous soutenez l’idée que le débat n’est pas là, qu’il faut aller plus profond : interroger l’industrialisation, et placer les techniques financières et comptables dans cette perspective. Pouvez-vous développer cette idée et pensez-vous qu’elle soit réaliste dans le monde d’aujourd’hui ?
 
DB : L’écologie n’est ni à gauche ni à droite. Les modèles économiques capitalistes ou socialistes visent tous les deux la productivité et la croissance. Aucun des deux ne table sur la « vérité écologique » qui nous saute au nez aujourd’hui avec une planète transformée en étuve et des espèces vivantes en extinction. J’aime citer Oystein Dahle, ex-président d’Exxon pour la Norvège et la mer du Nordqui disait « Le socialisme s’est effondré parce qu’il n’a pas laissé le marché dire la vérité économique. Le capitalisme peut s’effondrer parce qu’il ne permet pas au marché de dire la vérité écologique ». On peut dire que la raison écologique est sa planche de sauvetage ! 
Aujourd’hui le marché ne considère que le court terme et l’actionnaire. Mais depuis une quinzaine d’années, on cherche à reconnaitre la qualité de vie (santé, habitat, relations…), et à mesurer le progrès autrement qu’avec le PIB. La question de fond concerne ce à quoi nous tenons collectivement. Et aujourd’hui, nous ne pouvons que nous rassembler pour prendre soin du vivant. C’est le « progrès résonant et raisonnable » auquel la jeune génération aspire. Nouveaux indicateurs de richesse, nouvelles comptabilités intégrant les capitaux vivants (comme la méthode Care développée par Jacques Richard, désinvestissements du fossile et réaffectations à des projets durables… sont les leviers de cette mutation en cours. Ces outils servent les initiatives innombrables pour manger sain, partager les transports et les équipements, recycler et réparer.
Il n’y a pas d’autre cap que ces transitions qui redistribuent la valeur vers les territoires. Bien sûr cela implique des risques financiers énormes que la puissance publique doit étayer. C’est le sens de l’appel pour « libérer l’investissement vert » lancé par Alain Grandjean et Gaël Giraud.
 
UP’ : La bioéconomie pour laquelle vous plaidez veut s’inspirer du vivant et le respecter. Vous parlez de « pacte avec le vivant ». Comment cette démarche peut-elle se dérouler concrètement ? Comment le vivant peut-il être une source d’inspiration pour une innovation économique ?
 
DB : Les vannes de transformation de nos sociétés sont grandes ouvertes. Nous disposons de moyens pour transformer l’énergie des lisiers ou du soleil, extraire des cosmétiques des algues ou faire de la chimie avec des levures. High tech ou low tech, la palette des outils est vaste pour agir en synergie avec les êtres vivants. L’agriculture, la forêt, les océans ne sont plus simplement nos garde-manger, mais ils peuvent aussi nous vêtir, nous abriter, nous transporter, nous éclairer. Ainsi, le monde agricole fait figure d’éclaireur pour les industriels qui veulent convertir leurs procédés et réduire leurs externalités négatives. Il suffit que les consommateurs aient envie d’arrêter d’acheter des produits issus du pétrole, pour voir Lego décider de fabriquer toutes ses briques à partir de matières végétales à l’horizon 2030 ou Ikea annoncer que 100% de ses plastiques seront biosourcés ! Le moteur de cette dynamique vient de l’aval : Coca-Cola, Danone, Nike, Adidas demandent aux chimistes de leur fournir des matériaux biosourcés(cosmétiques, isolants, lubrifiants, colles, plastiques, composites, peintures…) que nombre de startups comme Amyris, LanzaTech, Global Bioénergies… inventent. Dès que le prix du baril de pétrole passera les 100 $ de manière durable, cette économie va exploser… Mais se faire « alliés du vivant » n’est pas seulement un enjeu économique c’est un pacte culturel. C’est exister et penser avec nos milieux (et non les surplomber comme le veut la modernité). C’est parier sur les solidarités.
 
UP’ : Ne risque-t-on pas, en développant de nouvelles formes de productions articulées sur le vivant de refaire les mêmes erreurs que celles que nous avons faites à l’encontre de l’environnement : asservissement voire pillage de la nature, mépris pour les externalités négatives produites par les processus industriels, etc. N’est-ce pas un nouveau risque ?
 
DB : C’est une question majeure : cette bioéconomie confronte les acteurs à la rareté, aux aléas de production, à l’instabilité de la matière. Les paysans le savent mieux que quiconque, produire avec les bêtes ou les plantes, c’est s’exposer à l’imprévisible. Il va falloir multiplier les négociations, les arrangements humains pour composer avec les dilemmes (manger ou rouler) et les écosystèmes (pour assurer leur régénération). D’autant que la bioéconomie peut nous affamer, si nous préférons le plein d’essence des uns au plein de nourriture des autres. Elle peut aussi surenchérir l’accaparement des terres !
La maîtrise politique de l’usage des biomasses et leur affectation et capitale. C’est la raison d’être du Forum BioRESP sur la transition bioéconomique que nous avons mis en place en France.
Il est clair que nous devons veiller à moins consommer, moins gaspiller et à donner plusieurs vies à nos objets : c’est l’économie circulaire qui passe par la valorisation des déchets. 
Si l’on suit la trajectoire qui doit nous amener vers 2050 à zéro émission nette de carbone, la moitié de l’économie sera issue de la photosynthèse. Pour encourager cette perspective, rien de mieux que de mettre en valeur les externalités positives : évitement des dégâts de l’extraction pétrolière (notamment de la fracture hydraulique pour les gaz de schistes), services écosystémiques, substitution de ressources naturelles qui pourraient finir par se raréfier (caoutchouc naturel extrait de l’hévéa, omega-3 issu de poissons, dérivés terpéniques extraits de plantes ou d’animaux…) par le recours aux levures ou aux bactéries.
 
UP’ : Dans votre livre, vous évoquez une multitude d’expériences menées aujourd’hui, un peu partout dans le monde, en matière de biotechnologies. Selon vous, certaines d’entre elles pourraient être une source de solution pour une bioéconomie durable. Mais les expériences que vous citez sont souvent marginales et menées parfois par des entités exotiques. Je pense aux biohackers que vous évoquez dans votre ouvrage. Ne sommes-nous pas, avec la panoplie incroyable de biotechnologies mises à notre disposition, en train d’ouvrir des boîtes de Pandore du vivant que nous aurons du mal à contrôler ?
 
DB : Les initiatives que je décris ne sont pas anecdotiques : elles sont au cœur des stratégies des grands groupes comme Total, DSM, Mitsubishi Chemicals, DuPont, Basf, Arkema, ou Michelin. Simplement la créativité est plus flagrante chez les startups et petites entreprises innovantes comme Avantium, Amyris, Metabolic Explorer ou Roquette, dont je raconte les aventures. Ce sont elles qui inventent les nouveaux modes de production, avec des algues, des bactéries, des levures… Les grands groupes ont peaufiné depuis un siècle la chimie du pétrole, il faudra du temps pour que la chimie avec le vivant s’impose, sauf à manquer de pétrole… J’évoque avec détail aussi les nouveaux outils génétiques (notamment la méthode CRISPR Cas9 qui permet de « rapiécer » à façon le génome) qui servent à asservir les organismes vivant pour faire de la « moléculture » (production chimique). C’est un point crucial de la réflexion démocratique. Il va falloir que nous puissions collectivement nous interroger sur la finalité de ces « nouveaux OGM ». Car l’expérience est instructive : 90% des OGM utilisés aujourd’hui sont fait pour résister aux herbicides : ils permettent ainsi de vendre toujours plus d’herbicides comme le glyphosate ! On peut viser d’autres objectifs !

LIRE DANS UP : Les organismes modifiés par CRISPR sont juridiquement des OGM

Dans ce contexte, les biohackers qui choisissent souvent des projets d’utilité sociale sont intéressants. Ils fabriquent de l’encre avec des bactéries, de la morphine avec des levures, des steaks avec des cellules de stars, des kits diagnostics de paternité… Tout cela n’est pas anodin et montre qu’il va être difficile de maîtriser les pratiques et d’éviter les possibles dérives terroristes.
 
UP’ : Les premières lignes de votre livre prennent la forme d’une conversation avec un enfant. Vous pensez aux générations qui viennent, celles à qui nous laissons une planète en piteux état. Quel message voulez-vous finalement leur porter avec ce livre ?
 
DB : Depuis trente ans, les alertes n’ont pas cessé, depuis Rachel Carlson et son Printemps silencieux, paru en en 1962 jusqu’à Al Gore et La vérité qui dérange, sortie en 2006… Aujourd’hui, les jeunes se veulent pragmatiques : ils agissent localement, immédiatement et se méfient de politique. Pourtant, il faut bien « virer de bord » et s’entendre sur une cohérence d’action… Entre ceux qui pensent que tout va s’effondrer et ceux qui se rassurent en parlant de « solutions-bidons », j’ai voulu trouver un passage, repérer les dynamiques du monde d’après. Les trajectoires sont diverses et peuvent s’envisager dans un nouvel attachement au monde. Non pas un lien qui limite, mais un lien qui libère. Non pas un soin paternaliste, mais une appartenance. Non pas une connaissance, mais une reconnaissance de communauté d’origine et de destin. Non pas une intervention technique, mais une participation.
Je crois que nous vivons un « tournant relationnel ». Nous nous définissons par nos réseaux, nos amis, nos hybridations. La biologie nous montre de plus en plus que nous sommes faits de bactéries, que la confrontation à les virus nous rend plus forts (immunité), que notre milieu va jusqu’à influencer sur le fonctionnement de nos gènes (épigénétique). Cela révèle un autre rapport au monde : nous devenons des homo resonans, qui vibrent avec leur milieu.
Mais tout cela fait fi de l’univers numérique où les automates conquièrent de plus en plus d’autonomie, et où nous abandonnons la nôtre. Un univers très gourmand en énergie… Allons-nous assister à une guerre entre les tenants du digital et ceux du biologique ? Le transhumanisme foncièrement technomimétique est une manière de nous enferrer dans le narcissisme et le mépris du monde. La colonisation de nos sociétés par les automates est une menace si nous perdons la maîtrise de nos choix et de nos destins. L’urgence du vivant c’est aussi intégrer nos vulnérabilités, nos diversités, nos imprévisibles. C’est « le plus grand défi de l’histoire de l’humanité », annoncent les 200 signataires de l’appel lancé par Juliette Binoche. Avec la force de l’imaginaire !
 
Propos recueillis par Gérard Ayache
 
 

Vers un nouveau pacte avec le vivant

 
« Dans le moment où nous sommes, la question de la survie est posée. On ne compte plus les films ou les bandes dessinées qui présentent la fin de l’homme. Le véritable ressort du futur, c’est le vivant. Nous pouvons miser sur la formidable énergie régénératrice du monde vivant, à condition de saisir (et d’accepter) à quel point nous dépendons de lui. À condition d’inscrire nos techniques dans les logiques du vivant, sans l’asservir ou le mettre en péril. Assurer les conditions de sa régénération (et de notre survie) nous amène à fonder une économie nouvelle. Certains l’appellent économie régénérative, d’autres permaéconomie, ou bioéconomie. Il s’agit toujours d’une économie avec le vivant. […]
Nous observons déjà que nos techniques de domestication, de manipulation, de numérisation, d’hybridation transforment tout : nos manières de consommer, de cultiver, d’échanger, de rencontrer… Inexorablement et de plus en plus rapidement, nous mutons ! Et nos modes de vie aussi ! Bêtes et plantes, champignons et planctons, levures et bactéries deviennent les usines du futur pour faire du carburant, des médicaments, des fibres ou des molécules pour la chimie… ouvrant les biomasses à de nouveaux marchés au-delà de l’alimentation classique. Sont-ils génétiquement manipulés, naturels ou synthétiques, asservis ou spontanés ? D’ores et déjà, la frontière entre nature et artifice, entre biologique et culturel, s’estompe. Et nos repères, et nos valeurs avec…
Maîtriser et manipuler le vivant est devenu la question politique centrale de notre époque. Cette sorte de « cybernétique organique » n’est pas affaire de machines ou d’automates. Elle est de notre responsabilité commune. « Voici la cybernétique revenue », constatait Michel Serres en 1990 dans son Contrat naturel où il considère que la science politique est devenue « physiopolitique », puisque le monde naturel est « notre symbiote ». Il va donc nous falloir inventer des métabolismes sociaux pour cohabiter en bon équilibre…
Je propose de prendre le pouls des mutations énormes qui secouent le monde d’aujourd’hui. Nous parcourrons d’abord des situations critiques où le vivant trinque : effondrements, intoxications, prédations des espèces vivantes… […] Nous prendrons la mesure du cynisme de certains comportements pour envisager une rupture indispensable face aux crimes mortifères que l’on nomme « écocide ».
Nous visiterons ensuite les acteurs de la bioéconomie, ceux qui font travailler les microbes pour faire une chimie nouvelle, des carburants ou des médicaments. […] Cette « fabrique d’artefacts vivants » à l’échelle industrielle génère des risques inédits. Car comment maîtriser des virus synthétiques, des saumons à la croissance accélérée lâchés dans les océans, ou des moustiques infectés par des bactéries ? […] Car ce « progrès » se paie par quantité de destructions de forêts, d’espèces, d’écosystèmes, de diversités naturelles, culturelles, économiques, gages de nos équilibres planétaires.
Il nous faudra alors repartir en arrière, ensemble, pour revisiter notre histoire, voir d’où nous venons et quel est notre ancrage industriel. Nous explorerons les conceptions occidentales de la nature, de la vie, de la technique. […] L’industrialisation a uni les ordres spirituels et séculiers dans un « deal pour la performance » qui nous éreinte. Et ce depuis le XIIe siècle ! Ce retour en arrière nous permettra de comprendre les architectures de notre économie actuelle qui excluent le prix à payer à la nature qui la supporte… Cette prise de conscience est la condition pour installer du jeu, une remise en cause et la conception d’alternatives qui sont déjà à l’œuvre. Si l’on voit fleurir toutes sortes d’initiatives (fablabs, ressourceries, espaces de coworking, expériences de permaculture ou d’hydroponie…) on assiste surtout aussi à des réorganisations des modèles agricoles et industriels et de nouveaux investissements vers des activités soutenables.
Nous appréhenderons enfin les germes du futur, en découvrant les expériences locales qui nous reconnectent aux territoires, qui tiennent compte des sols et qui recyclent des déchets. Ce mouvement s’accompagne d’un changement de boussoles. Des critères de qualité de vie, de liens sociaux, de responsabilité, de résilience des organismes tempèrent la toute-puissance du PIB. Les investisseurs exigent des entreprises d’agir contre le dérèglement climatique. Les mouvements massifs transfèrent les valeurs financières des activités fossiles vers les pratiques renouvelables. Ainsi les entreprises commencent à prendre en compte leurs externalités et le renouvellement des capitaux naturels et humains avec la comptabilité environnementale.
Nous sommes à un moment de bifurcation. […] Notre modernité, ancrée dans le dualisme mécaniste, ne considère pas la relation. Celle-ci est toujours mise hors-jeu de l’expérience scientifique qui évacue le sujet. Mais des passeurs travaillent aujourd’hui à retrouver nos équilibres. […] Nos neurones, notre système immunitaire, nos microbiotes se forgent au fil de nos interactions. La nature n’est pas hors de nous. Si nous intégrons cette vision, tout bascule. Nos valeurs se trouvent reconfigurées. Nos capacités éthiques et économiques sont renouvelées. Dès lors, les externalités de notre système économique actuel apparaissent… insoutenables.
C’est l’ambition de ce livre que d’emmener chacun dans cette révolution bioéconomique. Avec elle, les transitions prennent sens : nous nous réinscrivons dans le temps et les territoires, avec des modes de production régénératifs et circulaires. Saurons-nous pour autant investir le long terme, donnant une perspective aux générations futures ? Parviendrons-nous à assumer notre autonomie, sans tout déléguer aux machines ?
Les pollutions, les injustices, les risques globaux ont déjà fait bouger bien des gens, qui mangent autrement, veulent participer au partage des richesses, changent leurs modes de vie. […] Il ne s’agit pas du tout d’une dynamique marginale, mais que tout est en train de se recomposer, jusqu’à nos imaginaires et nos aspirations. Parier sur les dynamiques vivantes, c’est composer avec la diversité des possibles. En embrassant… l’inconnu. […] Ce récit révèle un paysage nouveau où des gens de toutes sortes agissent dans un sens commun sans forcément le savoir. Face à la complexité et à l’incertitude, ils investissent dans la forge du vivant, celle des relations. Finis la modernité autoréférentielle, l’irresponsabilité d’une posture hors-sol, le mythe de la toute-puissance. Le vivant nous apprivoise. Voici l’homo resonans. »
 
Dorothée Browaeys est présidente de TEK4life, qui coordonne les plateformes de dialogues BIORESP, NANORESP et DIGIRESP, dédiées aux enjeux écologiques et sociaux des nouvelles technologies. Journaliste scientifique et fondatrice de VivAgora, elle collabore à la revue Études et au magazine en ligne UP’Magazine. Elle enseigne les controverses techniques et la concertation à l’université Paris 7. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont Le Meilleur des nanomondes, (Buchet-Chastel, 2009), Fabriquer la vie. Où va la biologie de synthèse ? (avec Bernadette Bensaude-Vincent, Le Seuil, 2011), et Cerveau, sexe et pouvoir (avec Catherine Vidal, Belin, 2005).

 

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Photo d’entête : Dorothée Browaeys – © Rencontres de Cannes, 2018
 
 
 

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